– L’école des Mécaniciens

(Texte de 1963)

Satisfait de la tenue des cours de vacances, soucieux d’éviter l’emprise totale de l’occupant qui déjà accaparait une grande partie des bâtiments, craignant d’être totalement dépouillé du matériel des ateliers, la Direction de l’I.C.A.M., qui n’avait que très peu d’élèves, souhaita qu’une école ayant un recrutement sain mais important vint animer l’espace que l’ennemi avait négligé jusqu’alors.ecole_des_mecaniciens_les_forgerons_au_travail

A nouveau l’Abbé Verhelst fut chargé de la mission de diriger cette nouvelle pépinière et en octobre 1915 les portes de l’Ecole des Mécaniciens étaient ouvertes : 250 élèves furent admis. C’était la foule. Comment canaliser un pareil flot dont la formation était disparate, allant du certificat d’études primaires au brevet supé­rieur en passant par le brevet élémentaire?

Une mesure opportune fut choisie et le premier trimestre les élèves furent classés en plusieurs sections, le classement de Noël fixa les possibilités de chacun, ensuite de quoi le classement des promotions fut réalisé.

On peut dire que cette année de démarrage fut sans histoire. L’occupant, étant encore dans une bonne position, laissait à chacun une liberté relative, ce qui permettait à tous de suivre les cours avec régularité.

C’était le grand atelier de l’I.C.A.M. avec ses nombreuses machines qui était à la disposition de l’Ecole et il est certain que le matériel léger était bien occupé. Quant au matériel lourd, quel­ques élèves ingénieurs et de vieux chefs d’atelier l’utilisaient au mieux sous les ordres de M. Leclercq en attendant que la première promotion soit à même de leur venir en aide, ce qui advint l’année suivante.

Parmi les chefs d’atelier les plus cotés on remarquait M. Picarda, un forgeron d’élite capable de forger un bouquet de roses.

Les grandes vacances permirent aux élèves de souffler et à la direction de l’école de prendre de nouvelles dispositions . A la rentrée d’octobre 1916, l’on s’aperçut que l’école prenait de l’extension : 375 élèves, sans compter la centaine qui fréquen­taient les cours d’apprentissage (uniquement des cours d’atelier). De plus, grâce à l’appoint de personnalités de l’industrie lilloise, n’ayant plus aucune activité (et pour cause: les usines étant tota­lement à l’arrêt), quelques cours supplémentaires furent créés.

Parmi ces personnalités, nous citerons M. Douniau, le cons­tructeur du grand palais de la foire commerciale; M. Goudaert, qui fut de très nombreuses années Président de la Chambre de Commerce de Lille.

Avec une foule aussi nombreuse, les ateliers ne chômaient pas; il fallut de nouveaux établis, établir un roulement entre les classes où se donnaient les cours, les études où l’on pratiquait le dessin et les ateliers. Nous disons bien les ateliers, car si l’industrie était à l’arrêt, les services publics poursuivaient leur activité, consommant du matériel et, ma foi, ils firent souvent appel à l’I.C.A.M. et aux Mécanos. Ces besoins des services publics appelèrent les plus vieux d’entre nous à travailler sur les machines lourdes: raboteuses, radiales, etc .. et même à se coltiner les poches de fonte en fusion à la fonderie, les jours de coulée.

Ces jours-là, il y avait une bonne âme qui pensait à nous, M. Mégel, un religieux alsacien que nous avons toujours connu en civil. Il nous apportait force brocs de coco et même quelques tar­tines à la confiture, ce qui était un luxe pour l’époque. Il faut ajouter à ce détail gastronomique que chaque jour le ravitaillement nous distribuait un biscuit, ce qui améliorait l’ordinaire un peu maigre de chacun. A souligner qu’on ne connaissait pas le marché noir, pour la bonne raison qu’il n’y avait rien à vendre. Cette année scolaire fut marquée par un hiver très dur mais chacun le supporta avec courage et rares furent les absences.

Pourtant cette année qui avait bien commencée devait se ter­miner plus difficilement. Dès le printemps 1917 les Allemands com­mencèrent à se sentir moins sûrs de leurs possibilités: ce fut le début des ennuis. Ils commencèrent par réduire au maximum la liberté de circulation, si bien que pour aller d’une commune à une autre il fallait obtenir un laissez-passer. Ce sont nos amis des fau­bourgs qui pâtirent de cette mesure et chaque mois ils devaient se rendre dans leur “Kommandantur” pour obtenir cette précieuse carte. Il arriva plusieurs fois qu’un commandant supprima la circu­lation pour une journée et provoqua de regrettables absences.

La fin de l’année scolaire fut encore plus pénible; les premiers d’entre nous furent razziés à l’aube (5 heures du matin) dans leur demeure et conduits dans des camps de prisonniers civils.

Malgré ces quelques départs, la rentrée d’octobre 1917 s’opéra régulièrement; le nombre d’élèves était encore en hausse: 490 pour l’école seule.

Comme l’année précédente, les cours furent dispensés d’une manière satisfaisante mais le patrimoine de l’atelier souffrit beau­coup. En effet, l’occupant sentant ses forces décroître, se mit à enlever des machines pour les emmener chez lui; déjà il avait dépouillé la plupart de nos usines et seule la présence des « Méca­nos» avait permis à l’atelier de l’I.C.A.M. d’obtenir un sursis. C’est cette présence d’ailleurs, cette obstination à occuper les lieux, à se servir au maximum du matériel pour en retarder son départ qui fit que la libération arriva avant que le vide ne fut total. A ces difficultés, s’en ajoutèrent d’autres : des départs plus massifs vers les camps de prisonniers. Chacun vivait en état d’alerte n’ayant aucune certitude de revoir les copains le lendemain.

C’est dans cette atmosphère d’anxiété que se termina l’année scolaire alors que pointait déjà l’aube de la libération.

L’école ne reprendra pas en octobre 1918; l’ennemi avait obligé tous les hommes de seize à soixante ans à se replier avant lui vers la Belgique et partant, tous les élèves furent dispersés sur les routes du pays voisin où l’armistice du 11 novembre les trouva sans ressources avec de la joie plein le cœur.

Cette somme de travail, de peines, de joies devait être récom­pensée d’une manière solennelle par l’Académie Française qui, en 1920, sous la direction de M. Raymond Poincaré, ancien Président de la République, décerna à l’école un de ses prix de vertu, le prix Monthyon.

MODESTE REPRISE

Après l’euphorie de la victoire, après la reprise d’une activité relativement normale qu’amena la démobilisation progressive des aînés, la vie reprit ses droits et l’école rouvrit ses portes en octobre 1919.

Ce fut une reprise bien modeste, les effectifs avaient fondu et seul le vieux bâtiment de l’I.CA.M. était mis à la disposition de l’Ecole. Qu’importe, celle-ci repartit du bon pied et utilisa au mieux les locaux dont elle disposait. Bientôt une annexe fut créée rue de Thionville : elle abrita la menuiserie; une autre fut installée à Fives.

Cette dispersion n’était pas sans inconvénients et la tâche de la Direction et des professeurs était extrêmement lourde, d’autant que nous n’étions pas encore à l’époque d’une voiture pour cinq habitants.

Heureusement, trois ans plus tard, en 1922, les Syndicats patronaux du coton, du lin, du fil et de la toile joindront leurs efforts à ceux du Syndicat de la métallurgie, achèteront ensemble un terrain rue des Meuniers et décideront d’y construire les bâtiments qui devaient abriter l’école. C’est Mgr Quilliet, deuxième évêque de Lille, qui en bénira la première pierre.

En 1923 la construction est terminée et les élèves pénètrent avec joie dans leurs nouveaux locaux. Que de travail pour les amé­nager; mais les professeurs, les chefs d’atelier et les élèves retroussèrent leurs manches; chacun y apporta ses connaissances professionnelles et de plus, une bonne volonté que rien ne rebuta.

Les anciens élèves s’associèrent à cet effort en aménageant et en meublant de leurs deniers la grande salle qui devait à la fois servir de salle des fêtes pour les élèves et de foyer pour les anciens.

Les fonds furent réunis par les anciens au moyen d’un emprunt dont le remboursement fut facilité par le refus de la plupart d’entre eux d’en bénéficier.

 

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